Siya n’avait jamais réellement vécu dans le luxe. Du plus loin qu’elle s’en souvienne, elle avait toujours partagé un studio avec sa mère. Dès son arrivée de Russie, alors qu’elles n’étaient que deux, ne parlaient à peine l’anglais et essaient tant bien que mal de joindre les deux bouts. La belle se souvenait encore de cette année de cauchemar. Après avoir quitté un père et mari alcoolique, violent et agressif, la mère et la fille avait atterri en Australie sans un sous, ne sachant absolument pas quoi faire. Signe du destin ou pas, sa génitrice avait rapidement trouvé un petit boulot à mi-temps dans un salon de coiffure. Et leur vie avait réellement commencé. Quand Siya pensait à tout ça aujourd’hui, elle n’avait aucun regret. Parce que quitter la Russie et ses hivers infernaux avait été la meilleure chose à faire. La brune avait découvert sa passion pour le stylisme alors qu’elle était en voyage en France avec son lycée. Chose qu’elle n’aurait jamais fait si elles étaient restées dans leur pays natal. Et aujourd’hui, à vingt quatre ans, Siya avait réalisé son rêve. Ou en tout cas, elle était bien partie pour. Propriétaire d’un magasin de vêtements, elle créait sa propre ligne. Même si pour l’instant ce n’était qu’en projet, c’était déjà grand chose. Assise sur le seul tabouret de sa cuisine, elle évita de penser à celui à qui elle devait ça. Ce n’était qu’une infime part de l’équation, rien du tout. Pas de quoi en faire tout un fromage. Elle secoua sa tête. Ne pas y penser. Pas encore. Cerveau sur pause. Mais pour son plus grand malheur, elle savait très bien que c’était mal parti. Un seul remède. Efficacité garantie pour douze heures minimum. Grognant contre son manque total de réussite de prise en main de sa vie, Siya vida le contenu de son café dans l’évier et partit chercher ce dit remède.

La musique hurle ses paroles dans les baffles, les gens se pressent les uns contre les autres. Il faut chaud. Trop chaud. On l’effleure, on la touche, on la regarde. Elle est belle, elle est inaccessible. Elle sourit. Elle oublie. Un peu, sans doute pas vraiment. Elle tourne sur elle-même l’innocente, cherchant un remède du dernier prix. Et il est là, face à elle, un corps tout en muscle, un regard de braise, mais tellement pas artiste. Tellement banal. Tellement pas lui. Stop. Elle s’approche, doucement. Elle sait très bien qu’au final, c’est lui qui l’accostera. Comme toujours. Un dernier sourire et il est là. Ses mains déjà parcourent son corps. Trop vite. Pas assez fort. Elle ferme les yeux. Elle se laisse emporter. Et peu après, les voilà, à la porte de sa boutique, cherchant des clefs introuvables, promesse d’une nuit mouvementée. La porte s’ouvre, les vêtements tapissent un chemin jusqu’à sa chambre. Elle note qu’elle devra ranger tout ce bazar avant d’ouvrir demain. Ses lèvres la retrouvent, comme par magie. Et elle sent le bord du lui qui cogner l’arrière des jambes. Elle pourrait se dire que tout ça, c’est l’alcool. Mais la belle, elle ne boit pas. Jamais. Elle ferme les yeux. Comme toujours. Et elle le voit. Mauvaise idée. Mais elle ne peut s’empêcher. Alors elle ferme les yeux encore plus fort. Toujours plus fort.

Une jeune femme brune ouvre les yeux. Et le soleil l’agresse. Qui diable a bien pu oublier de fermer ces imbéciles de rideaux ? Elle a mal partout. Comme si elle avait couru un marathon. Alors qu’elle s’apprête à retomber la tête sous son oreiller, des bruits de cuisine lui parviennent. Et une odeur forte alléchante. Enfin totalement éveillée, Siya se relève d’un coup. Qui diable peut bien être dans sa cuisine ? Le diable est partout ce matin apparemment. Soufflant un bon coup, elle enfile un peignoir et s’extirpe du lit. Dans sa cuisine/salon/bureau se tient un spécimen plutôt pas mal, le boxer sur les hanches, faisant du… bacon semble-t-il. « Euuh, bonjour ? » le dit homme se retourne vivement « Ah! Siya! Enfin levée! Je t’ai préparé un super petit déjeuner, plein de bonne chose, tout ça. Enfin, il est déjà midi donc bon. T’es une grosse dormeuse en fait. J’espère que tu travailles pas aujourd’hui. Sinon, hier c’était plutôt pas mal hein. J’ai rentré mon numéro dans ton portable, si tu veux on… » Déjà, elle ne l’écoute plus. Et elle se gifle mentalement. Règle numéro un, ne jamais ramener un type chez elle. Elle se maudit. Fallait encore qu’elle tombe sur un type un peu chelou. Elle sourit pour toute réponse. Avant de se rappeler que si, aujourd’hui elle était censée travailler. « Et merde… » « … et donc voilà. ça va ? Tu veux qu’on rebâtisse ta table de cuisine ? » Elle relève un sourcil. Vraiment, sans façon. Sans plus trop lui prêter attention, elle attrape un… pancake ? Peu importe, c’est bon. Et elle en a besoin. Au loin, une porte claque. Et voilà qu’il est de nouveau là, ses mains sur son ventre, ses lèvres sur les siennes. Vraiment, pas moyen de manger tranquillement. Mais après tout, elle n’a rien à perdre l’artiste.