Elle s’est prise de passion pour les orques dès l’âge de six ans, après avoir vu Sauvez Willy × Elle voulait devenir dresseuse d’orques mais après en avoir appris plus sur ces nobles animaux ainsi que les conditions dans lesquelles ils vivent en captivité dans les parcs, elle a plutôt décidé de contribuer au combat pour les libérer en devenant cétologue × Elle est si passionnée que même sa grossesse et sa vie de jeune mère ne l’ont pas empêchée de terminer ses études, puis de se trouver un travail de guide touristique en mer en plus des expéditions qu’elle mène avec une petite équipe afin d’observer, étudier et répertorier les groupes d’orques, de baleines et de dauphins qui passent au large des côtes d’Adélaïde × Adélaïde, qui n’était certes pas son premier choix en tant que lieu de travail, mais qui a l’avantage de ne pas se situer trop loin de chez ses parents, à qui elle peut confier son fils si elle doit s’absenter pendant de longues périodes × Mieux vaut ne pas insister si à la question « où est le père » elle répond « dans ton cul » × Principalement entourée d’hommes dans son métier et déjà peu farouche, elle est plutôt du genre « nature », comprenez par là que les rots et les pets ne sont pas particulièrement tabous pour elle, de même que les blagues de cul, le porno et autres plaisirs de la vie quotidiennes × Elle fume à la chaîne et a une descente à faire pâlir d’envie les piliers de comptoir, mais elle ne fume jamais en présence de son fils, ni ne se soule en dehors des soirs de fête où elle le confie à une nounou, elle est responsable quand même, oh × Elle n’a d’ailleurs pas trop l’occasion, entre son fils et ses deux boulots, de vraiment faire la fête, et ne parlons même pas de flirt : ça fait deux ans et neuf mois qu’elle se contente du joujou caché dans son tiroir × Elle déteste ce qu’elle appelle le « romantisme à deux balles » : si vous voulez la séduire, oubliez les fleurs, le chocolats et les sorties ciné, et pensez plutôt bières, pizza et partie de Twister × Malgré son caractère dit « garçon manqué » (appellation que d’ailleurs elle déteste), et même si elle n’en a pas vraiment l’occasion sur le pont de son bateau ou devant la table à langer, elle aime porter de jolis vêtements, soigner ses tenues, être sexy, mais la plupart du temps elle se contente d’un jeans, d’un t-shirt, d’une chemise à carreaux, d’un pull à col roulé et d’une bonne grosse parka, faut dire que ça caille en haute mer × Quand elle est stressée et même parfois en dormant, elle suce son pouce

J’arrive pas à croire qu’il est encore là. Les sourcils froncés, je frotte la surface couverte de poussière ; c’est bien lui, mon vieux magnétoscope, trônant dans un carton à côté d’une pile de cassettes toutes aussi poussiéreuses. Je me demande si… bingo ! J’attrape la caisse et, serrant les dents, la soulève. Je suis déjà essoufflée à peine passée la porte du grenier. Connerie.
Ce n’est qu’une fois assise en tailleur sur le tapis du salon que je me souviens de vérifier si la télé a bien une prise péritel, et encore une fois, la chance me sourit. Je branche la bête, insère la cassette et… ah bah, fallait bien qu’il y ait un truc qui déconne : elle est pas rembobinée. Si je pouvais remonter le temps et m’engueuler pour cette sale habitude, croyez-moi que je le ferais. Pas grave, pendant que le magnéto tricote, je vais à la cuisine et je me prépare un petit goûter : trois tranches de fairy bread, deux tartines d’Aeroplane Jelly, un paquet de Twisties au fromage, et une part de pizza aux champignons froide de la veille, parce que les légumes c’est bon pour la santé.
« Jane, qu’est-ce que c’est que ça ? T’as de quoi nourrir la moitié de l’Afrique au moins, là. »
Je roule des yeux. Ma mère : toujours à exagérer.
« C’est qu’un petit snack, M’ma ! lui réponds-je. Et puis j’ai besoin de bien manger.
- C’est ce que tu as dit il y a deux heures à peine.
- La preuve que je disais la vérité !
- À ce train-là, tu vas devenir aussi grosse qu’une baleine.
- Hé ! protesté-je la bouche pleine. Une baleine c’est pas gros, c’est grand ! »
Ma mère lève les mains en signe de mea culpa. Je lui fais un petit sourire, heureuse qu’elle n’ait pas l’intention de tergiverser plus longtemps, et rajuste l’équilibre de l’assiette sur mon ventre en reportant mon attention sur l’écran qui peine sous la mauvaise qualité de la cassette. Là, je retrouve mes marques, pas comme sur le DVD trop liché qu’on m’a offert à Noël. Cette cassette, j’en connais par cœur autant tous les plans et tous les dialogues que tous les sauts d’image, tous les grésillements du son. Sans cette cassette, je ne serais pas là aujourd’hui. Enfin, pas là à végéter comme une huître sur ce canapé, c’est pas ça que je veux dire. Juste que sans cette cassette, j’aurais jamais eu l'idée de poser mon cul pendant huit ans dans des amphis pour me remplir le crâne de tous les merveilleux concepts de l’éthologie.
Je m’apprête à mordre dans une tranche de fairy bread lorsqu’une image singulière me vient à l’esprit alors que je fixe mon snack en suspend à quelques centimètres de ma bouche ouverte : on dirait vraiment qu’une licorne a chié sur du pain. Oh merde. Prenant tout de même le temps de mettre mon film sur pause (hors de question que j’en manque une seconde), j’envoie valser mon assiette et me rue en direction des toilettes d’où s’élève bientôt la mélodie de mes dégobillages. Charmant.
« Ça va, ma chérie ? »
Échevelée et rougeaude, j’émerge des toilettes sur fond sonore de chasse d’eau.
« Impecc’, comme tu me vois je pourrais grimper à poil sur une Vespa, faire trois loopings dans une cage ronde et en ressortir sans égratignures. La base, quoi. »
Ma mère hausse les yeux au ciel et croise les bras, mais je vois bien que derrière son air inquiet, elle a envie de rire. Je lui tapote l’épaule.
« Bon, dis à Willy qu’il attendra encore un peu avant d’être sauvé. Là, j’ai besoin d’une clope. »
Ma mère ouvre une bouche outrée et tente de me retenir mais trop tard : je suis déjà dehors, sur le patio, la cigarette au coin des lèvres et le briquet dressé. Je tire ma première taffe quand M’ma me rejoint, furibarde.
« T’as pas honte de fumer dans ton état ?
- Mon médecin a dit que je devais pas arrêter, sinon ça fait trop de stress et c’est pas bon donc tu vois, en fait je suis raisonnable là. »
Je vois le doute dans le regard de ma mère. Elle essaye bien de protester encore mais la sonnerie de mon portable lui coupe le sifflet. Je regarde le nom qui s’affiche sur l’écran et grimace.
« Allô ?
- Mon amour ? Comment vas-t…
- Arrête de m’appeler comme ça Chuck, c’est fini !
- Pardon… Je voulais juste prendre de tes nouvelles, savoir si ça s’est bien passé…
- Oui, ça s’est bien passé.
- Alors… Alors tu l’as vraiment fait.
- Oui, je l’ai vraiment fait, Chuck… Mais chiale pas, putain !
- C’est juste que… Je n’arrive pas à m’ôter de la tête qu’on aurait pu être si heureux, tous les trois.
- Tu veux dire heureux comme avec tu l'es déjà avec ta femme et tes quatre gosses ? Non merci, très peu pour moi. Maintenant tu m’excuseras mais là je suis en plein milieu d’un film. On s’appelle on s’fait une bouffe, hein. Enfin, ou pas. Ciao. »
Je l’entends vaguement balbutier entre deux sanglots mais ça ne m’empêche pas de lui raccrocher au nez. Le regard perdu dans le vague, je tire sur ma clope comme une cheminée sur un feu de bois.
« Tu lui as menti ? murmure ma mère.
- Oh ça va, c’est rien qu’un petit mensonge de rien du tout, ça fait pas de moi une sociopathe.
- C’est ce que t’appelles un petit mensonge ? »
Je hausse les épaules.
« Mais pourquoi tu ne veux pas lui dire la vérité ?
- Parce que j’ai pas envie d’avoir monsieur crise de la quarantaine à mon cul pour les dix-huit prochaines années à venir voire plus, voilà pourquoi, M’ma. Et puis crois-moi… »
Je désigne mon ventre si gros que je ne vois déjà plus mes pieds.
« C’est mieux pour lui. »
Sous ma peau, Benjamin, tel un poisson dans son bocal, s’agite comme pour approuver mes dires. Brave petit, il sait déjà que maman a toujours raison.